I- Bleu ciel apporte le soleil... [PV : Seth ~]

Dimanche 11 septembre 2016. Un sourire en corolle sur les lèvres, je tournoyai sur moi-même pour observer la chambre dans laquelle je me trouvais. Tout était familier, rassurant, apaisant ; un refuge sur une île inconnue au rythme de vie tout aussi inconnu. Tout indiquait la présence de Seth, ici, et j’en respirai de nouveau. Une mare d’eau salée, mon bureau et une armoire s’étaient rajoutés à ma demande et mes instruments avaient été installés dans un coin, à côté de la fenêtre. Je n’avais pas pris de lit ; je n’en avais pas besoin. Je respirai longuement, consciente que je commençai une nouvelle vie, que cela me rendait anxieuse mais que la présence de Seth m’apaisait. Je déballai ainsi mes affaires, les rangeai, pris place à l’évier vide qu’il y avait à gauche de la porte vu que l’autre était pris, caressai des photos, des peluches, mes feuilles de partitions ou encore ma raquette de badminton. Mon vélo avait été placé dans un entrepôt du Gymnase vu que je n’avais pas le droit de le monter dans la chambre. Je bus trois petites gorgées d’eau salée, refermai la bouteille sur mon bureau avant de faire tournoyer ma robe blanche dans mon volte-face. Quelqu’un approchait.

- « Que... »

Seth ?
Dites-moi que c’est Seth.

Mon angoisse disparut aussi vite qu’un sourire lumineux n’apparut sur mes traits et je le rejoignis sur le pas de la porte, entre nos deux éviers, de ma démarche dansante et précise. Je le pris dans mes bras, attendis deux petites secondes avant d’effectuer un bond d’élan et d’enrouler mes jambes autour de sa taille, nichant mon visage dans son épaule. J’étais si heureuse de le revoir ! Incapable de formuler ma joie, mon sourire s’agrandit, mes paupières se fermèrent et mes cheveux avaient viré au bleu dès que je l’avais vu. Un beau bleu ciel, éclatant mais pas agressif. Je finis par reposer mes pieds nus sur le sol – m’étant préalablement déchaussée quand je n’avais plus que mes vêtements à ranger – et le lâcher, un rire semblable au trille d’un oiseau s’échappant de mes lèvres. Je levai une main vers sa joue et mes yeux dans les siens. Tu m’as manqué.

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Ce sourire. Son sourire calme et tranquille qui réveillait la lumière du mien. Ce regard. Son regard étonné qui me fixait, jaugeant la réalité, rencontra l’émerveillement du mien. Ce rire. Son rire qui fit ondoyer des fils couleur garance dans ma vision, que je caressai de mes doigts léger sans m’en soucier. Seth savait que j’avais une synesthésie musicale, il savait que ma vue et mon ouïe étaient liés, il savait que chaque son avait sa couleur pour moi. Son rouge garance m’avait manqué et mon sourire s’en retrouva accentué, sans que ma voix ne réussît à se former dans mes cordes vocales. J’abandonnai l’idée et me dirigeai vers lui, qui m’ouvrait ses bras en une posture détendue. Que c’est bon. De voir ce, son, sourire franc, de sentir ce, son, baiser dans mes cheveux. De pouvoir l’étreindre. De l’étreindre. Je ris en le lâchant, ravie de retrouver une routine, une attache, dans ce milieu inconnu. Même cette chambre, qui avait la familière aura de l’apaisement, m’était inconnue. Je souris lorsque je vis autant que j’entendis sa voix de nouveau.

- « Bienvenue, Ella.
- Seth. murmurai-je en réponse, posant ma main sur sa joue. Prononcer son prénom fut déjà source de joie. Bon dimanche ? »

Ma question était autant une manière de le saluer, de faire passer ma joie de le revoir, que de le questionner sur sa journée. Il ne répondit toutefois pas, posant ses affaires au sol, et ma robe ondoya tandis que j’allais ranger le parapluie dans un réceptacle et son sac près de son bureau. Retrouver certaines habitudes, quoique modifiées, me stabilisait. Une caresse dans mes cheveux me fit rire, me ramenant à ma manie de tout ranger à sa place, et je lui fis face tout en posant ma main sur celle qui était toujours sur ma chevelure.

- « Comment vas-tu Ella ?
- Bien maintenant que tu es là.
- As-tu fait tes exercices du jour ? »

Je souris.
Seth était la gentillesse incarnée.

- « Oui. Le docteur Naïade est venu avec moi sur l’île. C’est lui qui m’a fait visiter, enfin le chemin jusqu’à la plage nommée la Perlée puis jusqu’au pensionnat. Il m’a aidé pour que j’aie ma classe, mon emploi du temps et ma chambre, aussi. »

Je redressai ma tête pour mieux le regarder. Le Docteur Naïade, mon cardiologue, avait été autant une aide précieuse et efficace qu’un soutien aujourd’hui. Mes yeux s’adoucirent à cette pensée. Je le remercierai plus franchement dès que je le reverrais. Ma voix douce, d’une chaleur tamisée, se fit alors entendre.

- « Et toi, comment vas-tu ? » M’enquis-je enfin.

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- « Tant mieux. »

Je souris, appréciant autant son économie de mots que la richesse de sa communication. Et vu qu’il n’avait pas répondu, je le relançai quant à sa journée ; la vitesse de sa réaction me fit comprendre qu’il avait sans doutes mal entendu le ton interrogatif de ma salutation. Ou peut-être insistai-je trop et il ne voulait pas en parler ? Je manquai de me mordre la lèvre.

- « Ça va. Je soupirai de soulagement. Il m’avait sans doutes mal entendue. J’ai eu quelques soucis avec mes devoirs mais une fille un peu étrange m’a aidé à soigner mon souci de page blanche. »

Je penchai ma tête de côté, intriguée par ce qui avait pu lui donner du fil à retordre et la nouvelle rencontre qu’il avait faite mais je me tus. S’il avait voulu m’en dire plus, il l’aurait fait, et il avait visiblement autre chose à ajouter. Son sourire appela naturellement le mien.

- « J’ai envie d’aller prendre un bain chaud, tu veux venir avec moi ? Mes yeux s’écarquillèrent d’émerveillement.
- Il y a des baignoires dans les douches communes ? Chuchotai-je. Maintenant qu’il en parlait, le Docteur Naïade m’avait bien spécifié qu’il y en avait deux par douches communes. Je viens, je viens ! Je prends juste des affaires pour me décrasser du voyage au passage. »

Encore une routine que je m’empressai de retrouver. Bon, en classe oméga nous n’avions pas de salle d’eau personnelle mais je ne doutai pas de la richesse des lieux. Je me dirigeai aussi rapidement qu’efficacement vers mes affaires. Quelle heure était-il ? Fin d’après-midi, visiblement. Il y avait encore du temps pour le réfectoire ? J’emportai un guide qu’on m’avait fourni pour les horaires des différents services de l’Académie avec une nouvelle robe, plus blanche que celle que je portais actuellement. Hm, le Docteur Naïade m’avait aussi dit qu’il y avait deux zones de douche mais pas de mixité entre genres, non ? ... non ? Je papillonnai des yeux une seconde avant de me retourner vers mon frère.

- « Seth ? Tu... Il n’y a pas de douches communes mixtes, tu es sûr que je peux aller dans celle des hommes ? La baignoire est isolée des douches ? Tu n’auras pas de problèmes si je viens, si ? »

Ma voix était douce, posée et mon visage toujours aussi rayonnant malgré la lueur soucieuse qui animait mon regard.

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Retrouver les habitudes de mon frère comptant les secondes me détendit instantanément, ce que même la lueur soucieuse dans mon regard ne sut, put, briser. L’étincelle qui traversa ses yeux m’interpella mais, le voyant sourire aussi simplement, mon inquiétude se retira tel un nuage soufflé par une bise ancestrale. Sa réponse rapide y participa également.

- « Je ne crois pas, et puis, on sera transformé, personne ici n’est capable de reconnaître une méduse femelle d’une méduse mâle.
- Je... Commençai-je, pas sûre que parier là-dessus fût une bonne idée.
- Il faudra juste faire attention que personne ne te voit.
- Oh. D’accord ! » Répondis-je de ma voix douce, vaporeuse et ici enthousiaste.

Je lui souris, mettant mes affaires dans un sac simple avant de tournoyer sur moi-même en faisant ondoyer ma robe – ce qui me fit rire. Je serrai la main qui s’empara de la mienne et me laissai guider ; si Seth me le proposait en étant aussi confiant, je n’avais pas de soucis à me faire. Tant qu’il ne lui arrivait rien de fâcheux, ce qu’il semblait croire donc je n’avais aucune raison de ne pas y croire. Je profitai de la veste et la capuche qu’il rabattit sur ma tête pour camoufler mes tentacules, peu désireuse de faire des dégâts sans le vouloir.

- « Tu sais quelle heure il est ? Il serait fâcheux de rater les horaires du dîner... » Demandai-je d’une petite voix.

Je jetai timidement des regards aux murs, couloirs, planchers, tapis et autres plafonds autour de moi, retenant par la même notre itinéraire en respirant de grands coups par moment. C’était le moment de mettre en place de nouvelles routines pour contrer l'enchaînement inévitable de crises d’angoisse qui déferlerait sinon ; ça aussi, ce serait fâcheux. Je reconnus l’odeur de l’eau, du savon et d’autres effluves ; je m’y dirigeai donc en m’agrippant de plus en plus à Seth. La porte donnait sur une sorte de couloir très large, avec des éviers et des miroirs à chaque extrémité mais... il fallait traverser les allées de douches pour atteindre l’une des deux baignoires – zone visiblement la plus spacieuse des lieux. Et l’une des douches n’était pas vide... et pas fermée non plus. La porte était même grande ouvert sur... Je piquai un fard et cachai mon visage dans le dos de Seth avant même d’apercevoir quoi que ce soit.

- « Je... Eh... Al-... Allons-y... ? »

À l’aide.
Les mains de part et d’autre de mon visage serrant le vêtement de mon frère, je fermai mes paupières très fort en me répétant une litanie en boucle dans la tête ; je n’avais rien vu, je n’avais rien vu, je n’avais rien vu... Je respirai de plus en plus profondément pour juguler ma gêne et tout ce qui se bousculait en moi, me focalisant sur la baignoire. Je n’avais qu’à suivre Seth en aveugle, tout allait bien se passer...

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La caresse sur ma tête me détendit même si je gardais les yeux fermés. Pourquoi la porte n’était pas fermée ? Je serrais le vêtement de mon frère, lui laissant le contrôle de mon corps le temps de juguler ma gêne. Dieu merci, je n’avais rien vu... mais j’aurais si facilement pu ! Je m’astreignais à de longues respirations pour calmer mon coeur et prévenir une crise d’angoisse. Si j’en faisais une maintenant, les projecteurs se braqueraient sur lui et c’était là tout ce que nous devions éviter.

- « Je... Eh... Al-... Allons-y... ? Commençai-je, incertaine et anxieuse.
-Oui. »

La concision et la confiance de sa réponse m’aidèrent à me détendre, je finis par me laisser aller et guider. Les mains douces posées sur mes yeux m’y aidèrent grandement et me permirent de relâcher les muscles de mon visage, contempler la peau de Seth aussi. Quand il les retira, je souris.

- « On est arrivé princesse. Princesse.
- Oui. Dis-je, mon sourire s’agrandissant. Merci, Seth. »

Je tournai délibérément le dos à mon frère en faisant tournoyer ma robe, ce qui m’amusa, puis accrochai mon sac en hauteur et mes vêtements sur celui d’à côté, pris ma trousse de toilette et réfléchissais à mes gestes, consciente qu’ils seraient le berceau d’une routine à venir. Je vis du coin de l’oeil Seth me tendre les bras et je lui rendis son sourire en m’avançant vers lui.

- « Viens. »

Je hochai la tête, posai sur le rebord de la baignoire puis m’arrêtai. Quand la baignoire s’était remplie ? Elle était vide quand nous étions entrés... Je clignai des yeux avant de glisser dans l’eau et les bras de mon frère. Magie, sans aucun doute. Je devais m’y attendre vu le lieu dans lequel je me trouvais. J’allais pour étreindre Seth mais il se transforma en me faisant rire. Je repérai une douche, petite, dans notre cabine et j’y embarquai ma trousse de toilettes. Le luxe des lieux me déstabilisait mais Seth était là. Je fis couler l’eau, me savonnai le corps, le rinçai, puis les cheveux, les rinçai avant de définitivement rejoindre mon frère après avoir rangé ma trousse de toilette. Tant qu’à prendre un bain, autant le prendre propre.

Avec un sourire enthousiaste, je sautai au-dessus de la baignoire et me transformai en vol, entrant sans presque aucun remous dans l’eau au vu de ma taille de cuboméduse. Si mes tentacules étaient plus longs, son corps faisant plus de dix fois le mien. Même sous ma forme pélagique, que je privilégiais toujours, je ne faisais que trois centimètres. Lui, 40. Nageant tout autour de lui en ayant un contrôle exacerbé sur mes tentacules pour ne le toucher en aucun cas, profitant de la bonne température de l’eau, je nageai paisiblement, avec quelques envolées enthousiastes parfois. Je l’observais surtout se mouvoir et, si mes tentacules étaient trop minces pour être visibles, mon corps avait viré au bleu de part le bonheur que je ressentais actuellement. Et l’eau. J’aurais ri si j’avais pu. Je faisais par moment des bonds hors de l’eau pour la sentir glisser sur moi et m’envelopper de nouveau. Il fallait que je trouve une zone d’eau douce pour nager avec lui en toute quiétude. Il y avait des lacs, sur cette île ?

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Voir Seth nager et ses tentacules onduler ne contribua que plus à calmer l’angoisse que je taisais. Je me laissai de plus en plus aller, sautant hors de l’eau, lui tournant autour, nageant parfois plus vite pour créer des courants favorables aux allées et venues de mon frère. Je l’observai autant qu’il ne m’observait, sachant très bien pourquoi il restait à une distance raisonnable de mes tentacules. Ce pourquoi j’en faisais de même avec lui, ce qui ranima de plus belle ma détermination à travailler sur mon don pour contrôler mes nématocystes. Quand il se mit à jouer, je m’amusai à créer plus de courants dans la baignoire, parfois en sa défaveur. Je compris à ses allées et venues quel était le jeu qu’il avait en tête mais, en plus d’une donnée évidente, l’espace était assez restreint malgré nos petites tailles. Je me permis une dernière envolée pour montrer ma joie avant de le laisser m’entourer de la dentelle de ses tentacules, ne nageant que pour me maintenir à la même place ou créer des courants lui étant favorables. Je ne sus combien de temps s’écoulait, même si une partie de mon cerveau faisant un décompte précis.

Quand il reprit forme humaine, je me rabattis d’un coup, en paniquant, à l’extrémité opposée à mon frère avec un contrôle et une conscience exacerbés de mes tentacules. Le bleu ciel joyeux de mon corps avait viré au blanc crème en une fraction de seconde sous l’effet de mon inquiétude. Il n’avait rien ? J’observai sa peau, prenant soin de garder mes tentacules derrière moi. Aucune trace, pas de brûlures, pas de lignes rougies ou bleuies extravagantes, aucun signe extérieur de paralysie, aucune bave incontrôlée aux coins de la bouche faute de contrôle sur ses nerfs. Je me retransformai en finissant mon soupir de soulagement sous forme humaine, une main posée sur le coeur. Il n’avait rien. Je plantai mon regard rassuré dans le sien, à l’affût du moindre signe d’empoisonnement tout de même. Même s’il soupirait d’aise et que j’avais veillé à m’écarter vivement lors de sa transformation, le retardement des symptômes pouvait très bien être dû à son don.

- « Alors ma petite sœur apprécie cet endroit ? Son ton de voix était clair, net. Tu voudras venir manger avec moi pour le repas ? Tu vas voir, c’est incroyablement bon ici ! Même si c’est pas exactement les mêmes plats que chez nous. »

Je lui souris, mes cheveux virant timidement au bleu. Mon expression posée et enthousiaste se fit plus détendue et je penchai légèrement la tête de côté. Il n’avait rien. Mon sourire n’en fut que plus éclatant.

- « Allons-y. Il est bientôt vingt heures et il serait déraisonnable de rester ici plus longtemps. Acquiesçai-je en sortant de l’eau, prenant ma serviette pour sécher ma peau puis l’enrouler autour de mes cheveux. Et j’apprécie cet endroit, oui ! C’est féerique. L’apprécies-tu, toi aussi ? » Dis-je en m’hydratant la peau.

Je frictionnai mes mains pour ne pas gâcher une once de crème, bus une gorgée d’eau tiède salée dans mon thermos et m’habillai. À l’affût du moindre bruit, je priais pour sortir sans accrocs de la salle d’eau. Seth était confiant, tout allait bien se passer. Seth était confiant, tout allait bien se passer. Seth était confiant, tout allait bien se passer...

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