Cela ne te gênait pas qu'elle te tutoie. Tu avais toujours eu cette habitude de vouvoyer ceux et celles que tu venais de rencontrer. Même dans ta propre famille, jamais tu n'avais tutoyé ne serait-ce que tes propres parents et aînés. Cela te paraissait inconcevable. Et pourtant, plus tu passais du temps sur cette île, plus tu apprenais que c'en était pas moins irrespectueux. Que c'était une chose humaine, une sorte de code social. Un rituel, peut-être ? Tu esquissais un sourire timide en te tournant de nouveau face à la jeune femme qui s'était rhabillée.
« Oui, bien sûr. Je suis désolé si j'ai paru déplacé en te vouvoyant. Une vieille habitude que je n'arrive guère à chasser. »
Léger rire restreint, opinant négativement du chef à sa proposition. Tu étais venu pour réparer ta bourde et lui offrir une nouvelle tenue, pas pour te faire payer quelque chose en retour. C'était extrêmement mal venu de ta part et dans ta façon de voir les choses.
« Je ne voudrais pas te déranger et puis je ne manque de rien. C'est gentil de ta part mais je ne pourrais accepter, je-
Tu te coupais, ton téléphone vibrant. Tout naturellement tu venais jeter un oeil dessus. Tu ne recevais que rarement des messages et tu le savais que le peu que tu avais, étaient de Capucin. Tu en donnais ta main à couper qu'il s'était mis dans une situation embarrassante et que c'était un appel à l'aide capital. C'était justement le cas, t'arrachant un sourire tendre. Il s'était encore coincé dans une tenue trop petite pour lui.
« Malheureusement je ne vais pas pouvoir rester plus longtemps... Un ami un besoin de moi, une urgence. »
Tu soufflais, un peu dépité et gêné de laisser la tête brune aussi abruptement. Tu lui payais sa tenue et tu filerais le plus vite que tu puisses.
« Mais je me nomme Vail et je suis à l'étage des étoiles. Si un jour tu veux que l'on remette cela, ce serait avec plaisir ! »
Tu le savais parfaitement que la jeune demoiselle n'en attendait pas moins. Cependant tu préférais demander. Pas que la possibilité qu'elle puisse répondre par la négative n'existait point. Juste une question d'être au clair avec toi-même et ton embarras grandissant. Parfois tu venais à détester cette honnêteté qui te caractérisait tant. Tu n'en serais pas là sans elle. Tu ne serais pas là, à détailler la nouvelle tenue fraîchement composée par la tête brune. Ni là à donner un avis sans que tes lèvres ne le désirent. Un léger sourire venait fendre tes lèvres, opinant du chef à sa question.
« Oui, complètement. Pas que le jaune ne vous allait pas, bien au contraire. Ce jaune là en particulier vous rendait un peu maussade et à voir ce rose vif, vous semblez être une personne pétillante et dynamique. Il sied bien mieux à votre teint et personnalité ! »
Tu réprimais un rire, l'embarras faisant de nouveau son entrée en grandes pompes, émeraudes fuyantes vers tes pieds.
« Si cette tenue vous plaît, je peux vous prendre celle-ci. »
Gaucherie quand tu nous tiens. Gauche, gauche, gauche. Tu voulais simplement faire marche arrière et partir t'enterrer dans un petit trou de souris. Arrivait alors une vendeuse, sur qui ton regard venait immédiatement se poser. Laissant un court instant la danseuse à sa cabine, tu venais échanger rapidement avec la vendeuse afin de savoir s'il était possible de retirer les étiquettes de la tenue de la tête brune. Elle était censée repartir propre et avec une tenue neuve pour ne plus être couverte de gêne. Votre conversation terminée, tu revenais aux côtés de la cabine, dos à celle-ci ; prunelles dans le vague.
« Je... Suis allé demander à l'une des vendeuses s'il était possible de retirer les étiquettes de votre tenue pour que vous puissiez la porter immédiatement si vous la prenez... Et elle serait d'accord de vous le faire. Ainsi vous ne serez plus dans l'embarras par ma maladresse. »
Tes lèvres étiraient un sourire tendre à l'engouement de Lynn. Tu te sentais bien, dans cette petite bulle que tu avais réussi à créer pour elle. Dans cet espace sécure où tous ses soucis n'étaient plus. Où elle pouvait être juste Lynn. Juste Lynn, une jeune fille énergique et insouciante qui profitait de la vie comme n'importe qui d'autres. Juste elle, loin des démons qui la lorgnaient dans un coin de son crâne. Tu la comprenais. Quelque part, elle et toi, vous étiez pareils. Tu avais pourtant bien des années sur elle. Bien des décennies et à ses côtés tu te sentais comme un jeune homme qui venait de découvrir la vie. Tu étouffais un rire à ces images qui apparaissaient dans ta psyché, celle d'une tête albâtre te mettant la raclée de ta vie, du haut de sa petite taille. Toi, immense dragon, terrassé par une Sainte.
« Oh, tu ne m'as guère vu à l'oeuvre, tu sais ! Dis-toi que je suis si bon que je terrasse une tasse de thé juste en la laissant s'échapper de mes mains ! »
Tu pouffais doucement de rire. Ta maladresse légendaire n'était plus à prouver. Puis soupir.
« Je suis terriblement gauche. Que je ne sois pas mort en glissant sur une peau de banane est un miracle... ! »
Ta tonalité enjouée ne pouvait contenir la hâte que tu avais d'apprendre aux côtés de la demoiselle. Une hâte mélangée à de l'appréhension. Tu n'avais jamais été un grand amoureux des contacts. Et espérais dans le fond que Lynn le comprendrait. Tu hochais vivement la tête à ses propositions, ta main se mettant aussi vite à l'oeuvre pour esquisser différents modèles de lunettes et même... Un masque de sommeil pour les yeux. En forme de lapin, fait de ce tissu tous doux. Parfois tu étais un peu trop inspiré et ton esprit t'échappait. Le rose te montait aux joues à ses compliments, ta tête disparaissant doucement entre tes épaules, un « merci » étouffé t'échappant des lèvres. Tu ne savais jamais comment réagir à des compliments. Tu n'en avais jamais eu. Si ce n'est que du poulpe envahisseur et tu réagissais toujours comme un enfant : joues pourprées de rouge et un sourire idiot au visage.
« Les trois sont tout à fait possible ! »
Tu venais montrer tes croquis, ton index allant et venant entre chaque esquisses.
« On peut garder les branches de couleurs roses et rendre celles-ci interchangeables ! Tu vois ici, entre les deux rails de métal qui composent la branche de la lunette, on peut y glisser l'intérieur de la branche. Et dooonc... ! »
Tu montrais tes dessins, diverses branches de lunettes ponctuées de petits lapins, étoiles et coeurs. Ainsi qu'une autre surprise. Ce que tu nommais les lunettes à la Elton John, verres roses et noires, en forme de coeur. D'une fine monture métallique elle aussi d'un rose nacrée.
« Tu pourras changer au gré de tes envies. Et si tu te sens un peu d'humeur osée, tu peux tester le masque de sommeil « panpan le lapin » pour un sommeil réparateur et des nuits agréables ! Ou même les lunettes coeur d'Elton John pour répandre la paix sur l'île... pause Avec une arme mais cela passe ! »
Tu vendais tes idées burlesques avec une voix digne d'une émission de télé-achat, tes bras s'agitant en de grands mouvements tandis que tes yeux détaillaient la grâce de Lynn au pistolet.
« Je peux te concevoir des robes amples avec un holster de jambe pour ton arme si tu veux ! Une coupe serrée à la taille et évasée en bas t'irais très bien. Tu serais libre de tes mouvements et ton arme cachée et confortablement maintenue pour ne ressentir aucune gêne. De plus, il existe pléthore de tissus et de motifs, ce sera relativement facile de te faire des jolies robes ! »
Tu venais croquer à la va-vite le patron d'une robe au-dessus les genoux, serrée à la taille et évasée, quelques fleurs parsemant celles-ci.
Tu écarquillais les yeux, étonné. Qui l'aurait cru ? Que derrière ce faciès si innocent se trouvait une âme capable de terrasser quiconque ? Lynn, elle paraissait douce. Paisible. Un peu naïve. Et pourtant elle te mettrait à terre en un clignement d'yeux. Tu riais, toute ouïe à ses dires.
« M'apprendrais-tu ? »
Tu voulais certes plaisanter mais cela était si venu naturellement que tu voulais déjà disparaître dans ton coin. Et revenir à ce que tu savais faire de mieux : inventer et donner vie à des modèles et créations. Tu te riais intérieurement de voir la demoiselle t'enseigner le judo et à toi et ton mètre quatre-vingt dix. Tu lui rendais son sourire, touché de son attention à ton égard. Tu n'avais jamais souhaité ouvertement qu'elle t'en parle. Tu lui proposais seulement, lui donnant le choix d'accepter ou de refuser. Tu le sentais torturée, encore prisonnière d'une emprise de laquelle elle se séparait doucement. Tu acquiesçais d'un sourire tendre, l'esprit tranquille après les brefs tumultes qui l'avaient assaillis.
« Bien sûr ! Prend ton temps, rien ne presse. Le plus important est que tu sois en sécurité et que tu te sentes bien là où tu es ! »
L'île pouvait être effrayante pour des personnes comme vous. Déracinées d'un monde qu'elles n'avaient toujours qu'aperçu par le prisme du statut. Alors tu attendrais. Autant de temps qu'il le faudra. Tu riais légèrement à ses propositions, notant chacune dans un coin de ton carnet un instant pensif.
« Hm... Le souci avec le rose c'est que bien qu'il puisse absorber une grande partie des couleurs, tes yeux seront toujours visibles. Et c'est si c'est cela le souci, je crains que cela te cause plus de mal que de bien. Cependant... Tu pourrais prendre des verres en dégradés ! Par exemple un fondu de noir allant sur du rose comme ceci. »
Tu dessinais rapidement sur ton carnet un verre de lunette, colorant en fonçant le haut de ceux-ci pour doucement fondre le noir vers le bas des verres en une couleur plus claire.
« Tu aurais des verres qui couvriraient tes yeux et un peu de rose, tu vois ? Et puis si tu aimes le rose, tu peux faire la monture en rose ! Il existe plein de métaux et couleurs différentes à présent ! Les verres en coeur risqueraient de te couper la ligne du visage... Néanmoins tu pourrais les retrouver sur le côté des branches, par exemple ? »
Tu marquais une courte pause, montrant le début de croquis à Lynn, ton esprit réfléchissant à ses derniers mots.
« Tout dépend ce que tu nommes féminin ! Être féminine diffère d'une personne à une autre. Qu'aimes-tu par exemple ? Sais-tu ce qui te va, ne te va pas en terme d'habits ? »
Tu restais cois. Cois et idiot face à ses mots. Depuis quand ton avis comptait ? Depuis quand une inconnue te permettait cela ? Te donnait même ce droit ? L'Homme marchait donc ainsi quand il ne te poignardait point ? Tu étais quelque peu anxieux, hochant de la tête en guise d'accord. Elle ne semblait aucune hostile alors pourquoi pas ? Bien que tu trouvais cela fort étrange que de venir faire le shopping d'une demoiselle que tu venais à peine de rencontrer. Tu te sentais comme dans ces séries américaines où Mrs X et Mr Y deviennent de très bons amis à partir de rien. T'en sourirais presque si ton embarras ne prenait pas encore toute la place.
Arrivés sur place, tu laissais tes émeraudes scruter les articles. Diverses collections étaient présentées dont l'éternel d'automne. Néanmoins tu ne pu t'empêcher d'imaginer diverses tenues sur la demoiselle. Elle avait cette morphologie dessinée et sèche. Celle typique des sportifs. Peut-être pratiquait-elle de la danse, gymnastique ou encore du yoga ou de l'athlétisme ? Tu appréciais créer des tenues pour ces morphologies, tant tu pouvais jouer sur les codes du masculins et du féminins. Cependant tu te mortifiais à sa proposition de venir en cabine, secouant vivement la tête, le cramoisi te montant aux joues.
« Je... Si cela ne vous dérange point, je vais attendre devant ! »
Rire nerveux, détaillant les habits qu'elle avait choisi. Tu ne trouvais pas foncièrement ce magasin hors de prix mais tu respectais son choix. Tous n'avaient pas ta chance, si tu pouvais nommer cela ainsi.
« Mais vous pourrez compter sur mon honnêteté oui. »
Léger sourire, la lorgnant sortir de la cabine parée de sa nouvelle tenue. Tu restais un instant silencieux, détaillant celle-ci sous tous ses angles.
« Je trouve qu'elle vous sied fort bien, bien que de mon avis personnel, j'aurais essayé un autre couleur ! Celle-ci ternit légèrement votre teint ! Avez-vous pensé à des couleurs plus vives ? »
Tu te sentais heureux. Heureux d'avoir pu égayer la journée de Lynn. Tu avais bien senti que quelque chose la travaillait mais tu n'aurais jamais cru pouvoir ne serait-ce que la faire sourire. Ne serait-ce que la sortir de cette bulle si oppressante qui l'emprisonnait. Alors tu souriais de ce sourire bête. Bête et naïf. Sincère. Tu te sentais bien en sa présence. Loin de tout, le coeur léger. Un baume parfumé dessus. Elle était ce zéphyr frais que tu recherchais depuis si longtemps. Cette brise qui te donnerait le courage et l'envie d'affronter le monde pour une raison. Lynn, elle te faisait te sentir en vie. Te donnait envie de confronter celle-ci. Et puis de la guider.
Tu restais attendrit face à cette vision, celle d'une enfant insouciante qui t'exhibait ses moindres émotions et déboires. Celle d'une enfant qui ravie d'avoir appris quelque chose, se laissait porter sans penser à ses problèmes. Et cela, c'était grâce à toi. Te sentais-tu fier ? Non, juste heureux. Heureux d'avoir pu accomplir quelque chose de bien aujourd'hui. Tu donnais toujours de toi, même aux inconnus. Cela te tuera un jour, tu le sais. Et tant pis. Tu partiras sans regrets.
« Je suis ravi si tu te sens mieux ! Et oui, en quelques sortes ce sont bien ces termes là. Sinon tu peux plus simplement dire la rage de vivre ! C'est un peu la même chose, mais en plus concis ! Je crois que les français adorent jouer sur les mots et les sens... »
Tu souriais, tendant une oreille à ses prochains mots, véritablement à l'écoute ; tes mains venant l’applaudir une fois de plus à la fin de sa démonstration.
« Tu as pratiqué un sport de combat ? Et si jamais tu veux vider ton sac... Bien que je sois qu'une connaissance d'une journée, je serais là ! Si cela peut te faire du bien... »
Tu détournais un instant le regard pour revenir à elle. Tu étais certes confus mais à la fois confiant. Tu lui disais cela avec toute la sincérité dont tu étais capable. Le pensais vraiment.
« Prince, pas vraiment ! Et heureusement, quand je vois la vie compliquée qu'ont ceux de mon pays... Je... Ne suis erm... qu'un « simple » noble dans une des familles les plus influentes de mon pays. Je suppose que c'est quelque chose de similaire pour toi, n'est-ce pas ? »
Rire coincé. Tu n'aimais guère étaler cela. Tu avais la sensation d'en faire trop. D'étaler un héritage dont tu n'étais pas digne. Un ixième rire traversait tes lèvres, une Lynn sautillante et excitée te faisant une bien drôle de demande. Tu tournais dès lors une page de ton carnet, invitant la demoiselle à venir à tes côtés.
« Mais bien sûr qu'elles te vont très bien ! Et pourquoi pas pour les lunettes ! Mais pour cela je vais avoir besoin de toi ! Il me faut tes préférences ! Quelles couleurs aimes-tu ? Quelles matières te plaisent ? As-tu des formes que tu trouves plus attirantes ? »
Tu étais d'une maladresse sans pareille, Vail. Tu n'avais guère pu rembourser la demoiselle mais en plus celle-ci ne te laissait même pas lui payer sa boisson. Tu te sentais comme un idiot, désarçonné dans un temps qui lui était étranger. Que pourrais-tu faire pour rattraper une bourde pareille ? Tous tes mots, aussi gauches étaient-ils, ne semblaient que creuser ce fossé entre elle et toi. Tu ne voulais que bien faire et tu avais cette désagréable sensation de t'enfoncer à chaque pas.
Que faire... ?
Tu ne pouvais t'imposer à elle. C'était là mal venu. Plus encore quand tu savais ce que les femmes vivaient au quotidien. Tu n'en étais certes pas une mais leur cause te parlait quelque peu. Tu savais ce que cela faisait, que de voir des droits accordés à d'autres, oubliés voire interdit car tu n'étais pas cet autre. Alors oui, tu essayais toujours de bien faire. Même avec ta maladresse qui t'était si propre.
Tu clignais des yeux à sa proposition. Toi ? L'accompagner ? Mais... Ne serait-elle pas plus mal à l'aise en ta présence ? Tu secouais la tête, confus et cherchant à disparaître là où tu pouvais. Soit nul part. T'étais ce grand dadet perdu. Tu affichais au mieux un sourire sur tes lèvres, acquiesçant silencieusement. Pourquoi avoir ton avis ? Tu n'étais qu'un illustre inconnu ? Ou alors savait-elle lire dans les pensées et te savait-elle en mode ?
« Pardonnez-moi de la question... Mais pourquoi avoir mon avis ? Je ne suis qu'un inconnu qui a abîmé votre tenue... »
Léger rire embarrassé, prenant la sortie du café pour emboîter le pas à la tête brune. Ton expression se détendait doucement à l'idée d'une tenue pour la jeune femme, en ayant déjà quelques dizaines en tête.
« Puis-je vous demander dans quel magasin nous rendons-nous, alors ? »
Tes lèvres étiraient un sourire à ces nouvelles. Ayden allait bien, fidèle à lui-même et veillant toujours sa soeur. Il avait toujours été et un frère et un professeur pour elle, lui apprenant à s'armer face aux difficultés qu'elle rencontrerait dans sa longue existence. Tu n'avais que rarement eu l'occasion de connaître une telle relation. Ton frère lui, avait été repoussé par les de Berkeley, trop impur pour t'éduquer. Alors qu'il était celui qui avait fait de toi celui que tu étais aujourd'hui. Tu en étais un peu amer dans le fond. Il te manquait. Tu aurais aimé le revoir, comme la revoir, elle.
Toi, oiseau dans une cage dorée ; ailes coupées. Tu opinais du chef à ses affirmations. Tu les connaissais bien les Avery. De fiers travailleurs, de bons parents, une famille soudée qui ne prenait rien pour acquis. Quelque part, ils avaient transmis cette hargne à la jeune alpha. Demoiselle qui ne baissait pour rien au monde les bras, la tête haute.
« Une décoration d'Halloween, dis-tu ? HAN ! EVIDEMMENT QUE NON. QUI IRAIT FETER CETTE CELEBRATION DE MANANTS AU SEIN DES BERKELEY-HON ! »
Tu pouffais de rire, finissant par doucement te détendre. Rire avec Mady, comme au bon vieux temps. Cracher sur tes parents était assez nouveau pour toi. Tu n'étais pas un adepte de dire du mal d'autrui mais quand tu étais celui constamment dans le viseur, était-ce si mauvais ?
« Comme dit, ce n'est pas ta faute et les blâmes vont sur les de Berkeley. Je suis content de te revoir aujourd'hui et de te savoir en bonne santé et réunie avec Ayden. »
Sourire sincère, ta main délaissant ses cheveux. Il n'était pas encore si tard... Pourquoi pas se poser quelque part ? Tu ne connaissais pas encore toute l'île mais il devait bien y avoir un endroit où s'installer tranquillement. Soudain fou rire à cette Mady jouant le jeu, regard planté sur ta personne, mains sur les hanches. En effet, cela lui allait bien et te voilà à t'étouffer pour respirer.
« Désinfecté ?! Quelle ineptie ! Ne sais-tu donc pas qu'il faut tous les enfermer ?! Président, c'est si guindé -hon. Moi, Demoiselle, je vise les étoiles ! Vous avez intérêt à vous accrocher si vous voulez suivre mon immanente personne dans son ascension ! »
Énième rire, prenant une grande inspiration pour te calmer. Ce que tu pouvais en déblatérer des âneries quand tu t'y mettais.
« Plus sérieusement... Pour fêter cela... Voudrais-tu que l'on aille boire un thé ou un café ? Je ne connais pas encore tout le coin mais cela doit bien exister ! »
Tu étais embarrassé. Non seulement tu ne voulais guère te faire voir et partir aussi vite que tu étais entré mais en prime tu avais commis une gaucherie sans nom. Et te voilà ici à essayer de réparer tes faux pas, entraînant à ta suite une parfaite inconnue qui n'avait rien demandé. Tu ne savais plus où te mettre. Alors tu restais là, bête devant ses mots et votre gêne partagée. Tu craignais d'avoir été maladroit. De passer pour ce genre de personne qui aborde que trop lourdement les femmes. Loin de toi cette idée et ce comportement. Tu en avais déjà assez peur ainsi pour te rajouter une peine supplémentaire.
Tu acquiesçais timidement, laissant la jeune femme se diriger vers les toilettes avant qu'une idée te vienne à l'esprit. Du moins, une énième politesse trop guindée dont toi seul avait le secret. Peut-être étais-tu trop serviable. Ou naïf ? Qu'en sais-tu ? Que le monde est toujours surpris de ce genre d'attitude. C'en était triste, avec le recul. Tu reprenais contenance, interpellant la jeune femme.
« Ex-excusez-moi ! Je... Je peux vous prêter mon kimono si jamais cela vous embarrasse trop de sortir avec votre tenue salie... Il a une ceinture, vous pourriez le porter comme une robe... Je... j'ai conscience que ce n'est pas grand chose mais si cela peut vous dépanner... »
Tu venais regarder tes pieds, ta main déposant maladroitement ton kimono noir sur le dossier de chaise de la brune.
« Et puisque j'ai renversé votre boisson, je vous l'offre. C'est la moindre des choses. »
Tu esquissais un sourire timide, criblé par la honte et la gêne qui t'incombaient. Non seulement tu étais le dernier des idiots en société mais en plus tu te retrouvais dans une situation que tu n'avais jamais vécue. Les mots de la jeune femme te parvenaient aux oreilles, détournant le regard.
« Vous savez, l'argent ne me manque guère alors si je peux au moins vous rembourser... Sauriez-vous combien je vous dois ? »
Tu peinais à te voir l'accompagner pour la rembourser. C'était là mal venu de ta part. Et qui plus est, elle restait une inconnue, elle avait peut-être autre chose à faire que de se faire importuner toute la journée par un crétin maladroit.
Comment avais-tu fini dans cette situation, une inconnue face à toi ?
Décidément tu pouvais le dire, tu avais une malchance insolente. Après bien des péripéties sur l'île et à l’Académie, ce jour où tu étais censé te reposer et enfin t'enfouir dans les livres était devenu une énième épreuve. Tu avais débuté ta journée par ton usuelle balade en forêt, les bois de l'île renfermant bien des secrets et des espèces de plantes que tu ne connaissais que de nom. Pour l'occasion, connaissant parfaitement que tu envisageais ensuite d'aller prendre un thé au chocolat relevé à la pomme et à l'amande, tu t'étais habillé de façon que tu jugeais de passe-partout. Nulle tenue extravagante.
Un kimono jais oversize venait entourer tes épaules, la douceur du cachemire te berçant. Il faisait encore froid pour le dragon que tu étais et tu ne pouvais encore te permettre de sortir avec des matières plus légères. A cela se rajoutait un pull en laine mérinos à col rond ; plain and simple dirais-tu. Tu n'aimais guère la foule et tu désirais uniquement te faire oublier. Paradoxe quand tu es celui qui entames les portes de tes cornes. Plus encore quand tu es affublé de talons comme aujourd'hui. Tu les adorais ces bottines, elles allaient à perfection avec ton slim noir - oui tu as tant de couleur aujourd’hui, c'est fou -. Et cette touche carmine pour l'entièreté des semelles relevait un peu la tenue - la voilà, la couleur ! -. Pour une rare fois tu avais laissé tes cheveux détachés, faciès toujours caché derrière tes lunettes rondes ; elles aussi teintées de... On vous laisse deviner.
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Cartable cuiré en main, tu venais te glisser dans l'entrée de la librairie, réajustant tes lunettes sur le bout de ton nez, émeraudes détaillant la carte. Et si tu changeais un peu de ton thé favori ? Leurs nouveauthés - oui ton humour est formidable - te rendaient quelque peu curieux. Néanmoins, tu n'eus guère le temps d'y réfléchir plus qu'une des serveuses du lieu - une tête rousse un peu trop énergique pour toi - venait t'attabler d'un geste doux avant de s'éclipser tout aussi vite. Si tu pris un certain temps à comprendre ce qu'il se tramait, ce fut l'annonce qui manqua de te faire t'étouffer dans ta salive. Tu tournais la tête, remarquant enfin la présence de la jeune femme. Ce que tu pouvais déjà en redire était qu'elle avait un sacré sens de la mode. Cela t'arrachait un léger sourire, croyant y reconnaître une influence française dans sa tenue. Cependant, tu n'étais pas venu pour un speed dating et voyant la gêne apparente de la tête brune, tu décidais qu'il était temps de fuir et de revenir une autre fois.
Si seulement. A peine te relevais-tu, que ton kimono choisissait le meilleur moment de sa vie pour venir s'accrocher dans la table à laquelle vous étiez assis ; faisant délicatement pencher celle-ci vers la jeune femme qui se retrouvait à présent avec une flaque de thé sur son haut.
Pourquoi ? Pourquoi ta maladresse revenait pile à cet instant précis ? Tu te figeais sur place, zieutant de gauche à droite ne sachant que faire.
Que faire d'autres que de débiter milles excuses à la demoiselle.
« Pardonnez-moi, pardonnez-moi, je, je... ! »
Tu secouais les mains, voulant disparaître dans un coin de la librairie.
« Par ma faute votre tenue est fichue... Je peux vous la rembourser ou faire quelque chose ? »
Tu avais conscience que cette demande était incongrue. Qui irait proposer pareille chose ? Mais tu t'en fichais. L'argent ne te manquait point et tu avais bien trop de respect envers l'inconnue pour la laisser rentrer avec une tenue complète massacrée par tes soins. Quand tu savais le prix des beaux habits, cela était inenvisageable.
Everyone has this universal understanding of roommate drama.
Une danseuse. Voilà ce que tu admirais.
Les cheveux détachés, soleil ardent couvrant ses épaules, le poulpe envahisseur embrassait un tout autre genre. Tu restais figé, perdu dans l'admiration de ses traits. Nullement envieux. Une vue que tu considérais d'artiste ; une vue où tu étais tel un appareil photo. Photographe imaginant la tête rousse dans bien des poses pour se mettre en valeur autant que la tenue. Tu brûlais d'envie de lui proposer cela. Un shooting improvisé. Une balade en ces lieux méconnus pour trouver l'endroit parfait. Digne d'une couverture de Vogue. Néanmoins tu n'avais aucun talent en photographie. De bêtes bases, une intuition aiguisé et voilà. Rien de plus. Ne serait-ce pas insulter ton compère et ta création ?
Tu pouffais discrètement à la posture mélodramatique de Capucin, mannequin refusant de s'admire tant qu'il n'était pas parfait. Il était à présent ton oeuvre ; tableau porcelaine que tu peignais peu à peu. Ses phrases ne tombaient nullement dans l'oreille d'un sourd ; faciès fermé. Concentré, tu l'étais. Pensant au maquillage futur qui viendrait habiller les traits du jeune homme. Tu retenais néanmoins sa préférence pour les mêmes tissus que toi. Après tout, n'était-il pas comme toi sur ce point ? Petite fée des vêtements aimant travailler avec la qualité plutôt que la quantité ? Tes commissures s'étiraient un peu plus à ses compliments. Doucement tu prendrais le pli. Doucement tu finirais par réussir à te révéler aussi bien que lui. Il était si à l'aise. Comment faisait-il ?
Toi, malgré ton air décoincé et serein, tu discutais encore dans tes pensées. Faisais-tu bien ? Ou allais-tu le regretter amèrement ? Comme toujours ? Des craintes que tu t'efforçais d'étouffer. Taire au loin pour profiter de cet instant et de ce mannequin qui jouait le jeu. Un jeu que tu lui avais imposé dans un élan d'enthousiasme. Un jeu dont tu te sentais coupable. Et s'il n'avait pas voulu ? Vous vous connaissiez à peine et déjà tu t'imposais à lui. N'était-ce pas souvent l'inverse ? Est-ce un mal ? Tu soupirais pour toi, secouant la tête pour te diriger vers ta coiffeuse, lorgnant la folle en robe qui t'attendait sagement devant le miroir. Celle-ci s'était remarquablement bien assise, robe plissée aux bons endroits, épousant la forme de la chaise. Décidément, il avait la main, le Capucin. Décidément, il te ressemblait. En plus bavard. En plus expansif. En plus... En plus tout court.
La danseuse désirait de l'or et toi... Tu hésitais. Et germait une idée. Des lèvres d'or. En feuille d'or ; tel de l'or fin. Tu ne voulais pas d'un rouge à lèvre kitsch ou qui fasse basse qualité sur sa peau. Un maquillage de feu. Peut-être était-ce trop simple, peut-être était-ce pour le mieux. Tu ne voulais nullement inclure de vert ; combinaison trop aisée avec les cheveux de Capucin. Tu revenais à lui avec tout ton matériel, détaillant sa peau au grain près. Nul besoin de fond de teint. Sa peau est très belle ainsi.
« Deux ans déjà... Sont-ils tous aussi exubérants et épuisants ici ? Est-ce une habitude ce manque d'organisation aussi ? »
Oui. C'était là la première chose qui t'avait sautée aux yeux. Pour une école si réputée, tu ne t'attendais point à autant de laisser aller. Et cela t'inquiétais quelque peu. Et si... Tu retombais sur des abrutis... Allais-tu encore retrouver face à toi une figure qui te rit au nez et nie sa part de responsabilité ? Au prix de l'année, c'était se moquer du monde. Tu venais prendre délicatement ton pinceau ombreur afin d'attraper du fard d'une couleur rose quelque peu terne. Si celui-ci allait faire bondir Capucin au plafond à sa vue, il n'avait pour rôle que d'embellir les prochaines couleurs.
« Ferme les yeux, s'il te plaît. Oui, c'est un parti pris. Je suis assez proche de la nature et de mon environnement. Disons que c'est de famille et de tradition. J'aimerai idéalement réussir à travailler avec des matières respectueuses de celle-ci même si je le sais bien, ce n'est guère pour demain. Je voudrai que cela se voit dans ce que je fais. Je veux le retranscrire du mieux que je puisse. »
Le rose enfin appliqué, tu te saisissais de ton pinceau pour le creux de la paupière, venant délicatement taper tour à tour d'or les extrémités de sa paupière. Ceci fait, tu attrapais un second pinceau pour venir y déposer les couleurs plus chaudes.
« Et toi ? As-tu un quelconque message à faire passer par tes créations ? Quelles sont tes ambitions dans ce milieu ? »
Tes mains continuaient calmement de peindre leur tableau vivant, tes pensées allant et venant entre divers sujets. Amusé au fond des questions du poulpe. Tu arborais un sourire doux, pinceau estompeur entre les doigts, venant fondre les deux couleurs ensemble.
« Bien sûr. Tout dépend de ce que tu désires savoir et de tes connaissances. Je ne suis pas non plus un professionnel et n'ai aucunement prétention à cela. Je pense même que beaucoup aurait un bond au coeur à voir ma façon de faire. »
Tu riais d'embarras, venant délicatement poser et estomper la dernière couche sur sa paupière mobile ; paillettes qui feront plus tard écho au rouge à lèvres que tu n'avais pas encore apposé.
Si tu avais vécu des choses difficiles ? Ton sourire fanait un court instant, prunelles nostalgiques.
Tu ne saurais dire. Tu ne veux guère te plaindre. Tu ne veux guère faire la victime. Encore moins avoir la pitié d'autrui. Alors tu t'estimais chanceux. Chanceux que les événements ne furent pas plus horribles qu'ils ne le furent déjà. Tu avais un toit, une éducation, de l'argent... Ta vie était-elle si terrible ? Tu ne saurais dire. Tu pensais simplement que tu n'avais point le droit de t'en plaindre. Alors tu venais répondre à Lynn d'un timide sourire, une pointe amère dans la voix.
« Je crois. Je ne saurais me placer sur une échelle ; s'il en existe une pour dire à quel point la vie de quelqu'un est ou fut difficile. Je crois que tout comme toi, j'ai eu ma part de malheur. Et qu'à présent je suis ici, à lutter pour ma part de bonheur. »
Tu riais doucement, tes émeraudes se baladant toujours sur les reflets des cheveux de la jeune femme. Quoi que tu y fasses, tu peinais à voir autre chose qu'eux. Ton sourire revenait à la réaction gênée de Lynn, un rire écrasé entre les lèvres.
« Pour tout te dire, moi aussi. J'ai... Simplement cessé de m'en faire. Devoir m'adresser à mes proches par leurs statuts et titres... Ne trouves-tu pas cela fallacieux ? C'est comme s'adresser à des étrangers alors qu'ils sont de ton cercle intime. Vouvoyer de temps à autres, pourquoi pas. Mais ici, à l'Académie, ce sont des personnes comme nous. Dotées. De notre tranche d'âge... Je ne veux plus instaurer une distance qui serait perçue comme malaisante par mon éducation et mon milieu. »
Ton sourire s'étirait à sa tentative gauche, venant doucement l'applaudir pour l'encourager. Lynn essayait et doucement elle y arrivait. Doucement, tu sentais qu'elle serait capable de vivre pour elle.
« Et tu vas y arriver. Regarde ce que tu as accompli aujourd'hui. Tu as réussi à tutoyer quelqu'un. Je sais que cela peut sembler naïf, mais je crois que si l'on veut vivre pour soi-même, il faut dès lors relever tous ces petits moments de bonheur. »
Tu penchais lentement la tête, intrigué par ses paroles. Une sirène ? Une vraie de vraie ? Comme dans les bouquins ? Comme toi... ? Tu t'embarrassais subitement, détournant le regard.
« Pardonne-moi... J'ai dû te paraître horriblement intrusif à les lorgner de la sorte. J ne voulais pas te mettre mal à l'aise. Et puis tu sais, ces choses comme tu dit... Elles siéent très bien à ton visage. Et si cela te permet de te protéger comme autrui, est-ce que cela n'en vaut pas le coup ? »
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Mer 14 Juil - 16:21
