Samedi •
Titan se levait de son lit, l’appartement était calme, pas un bruissement, pas un son. Balthazar était sûrement parti faire ses affaires. Il était très probable que celles-ci concernent les affaires des autres d’ailleurs, des porte-monnaie, des deals pas clairs, des contrats avec trop de petites lignes. Rien qu’à l’idée ça la faisait rire. Quel escroc. La matinée était déjà bien avancée et sa tête bourdonnait encore de la cuite de la veille.
Tout l’alcool, toutes les glaces, tous les rires, les cris, les crises, tout ça n’avait pas réussi à faire taire la petite voix dans sa tête. Celle qui lui disait que quelque chose clochait. Elle l’aurait nommée déesse intérieure si celle-ci savait faire du saut à la perche et des saltos mais elle était juste chiante alors elle ne la nommait pas. Elle ne l’écoutait pas de toute façon, sauf ce matin. Ce matin la voix ténue avait visiblement acheté un mégaphone et des caissons de basse en plus de ses hauts parleurs parce que ça vibrait fort dans son crâne.
Connasse intérieure. Dans un soupir, elle se dirigeait, son portable à la main, vers la cuisine encore à moitié à poil. De toute manière, son coloc n’avait pas plus de pudeur qu’elle et à ce stade, s’il était là, rien de son corps ne serait une grande découverte tant ils s’étaient retrouvés en sous-vêtements sur le canapé avec Netflix et Häagen-Dazs.
Elle avait pris sa décision, elle prendrait le train cette après midi pour rentrer à
“la maison”. Juste le week-end, juste pour vérifier, être sûre.
Elle poussait le tas de lettres d’Anna sur un côté de la table pour s’installer de l’autre avec son ordinateur et un café. Ses yeux vairons passaient plus de temps à les regarder, le cœur au bord des lèvres qu’à réserver un hôtel pas loin de la résidence de ses parents à Amsterdam. Elle avait tout épluché, tout trié, sa gouvernante et nounou avec qui elle échangeait une correspondance régulière n’avait jamais manqué un instant avant de lui répondre. Leurs lettres ne mettaient jamais plus d’une dizaine de jours avant de revenir. Depuis son départ sur l’île de Corail, Titan n’avait jamais cessé d’écrire à sa chère nounou, celle qui l’avait vu grandir, qui lui avait soutenue les mains lors de ses premiers pas, celle qui avait applaudi sa première course, qui avait versé une larme pour sa première toile, qui avait été là pour toutes ses première fois, pour toutes les fois, toujours,
toujours. Elle seule. Pourquoi alors elle ne voulait plus être là maintenant?
Cela faisait deux mois que Titan envoyait des lettres sans réponse. Elle lui racontait comment sa dernière exposition s’était passée, à quel point le nouveau colocataire qu’elle se traînait lui tapait sur les nerfs et pourtant à quel point elle riait avec lui. Elle continuait à lui confier ses pensées, ses doutes, ses hésitations, à attendre de ses nouvelles savoir comment elle allait, si elle partirai cet été comme tout les ans chez ses enfants dans la campagne, si elle verrait ses tonnes de petits-enfants et si elle leur lirait les nouvelles histoires qu’elle avait écrit… Chaque jour, Titan s’empressait de vérifier sa boîte aux lettres, chaque jour elle la trouvait vide. Elle avait pourtant été faire un scandale à la cocoposte, les accusant de leur incompétence mais pour une fois ce n’était pas de leur faute, aucune lettre d’Amsterdam n’était arrivée pour elle. Pourtant depuis douze années, elle n’avait jamais manqué une correspondance.
Douze. Ans. Alors qu’est ce qu’étaient deux mois? Après tout la vieille Anna aussi avait droit à un peu de calme et de repos surtout avec les tonnes de pages manuscrites que lui écrivait Titan. L’artiste refusait de passer par téléphone, par mail ou quoi que ce soit d’autre, elle tenait absolument à ce que nounou lui écrive de sa main, comme si voir sa calligraphie pouvait lui conter plus que les mots rassemblés sur une feuille, comme si ces courbures pouvaient lui redonner le peu de chaleur qu’elle avait pu avoir des bras d’Anna. Comme si cette dame et ces lettres étaient les seuls liens sincères qu’elle ne pourrait jamais connaître.
Années après années, elle en avait vu passer des visages. Jamais un seul n’était resté, ils étaient tout venus pour repartir, elle seule voulait rester sur cette île qu'elle n’admirait pas tant. Mais elle était luxueuse, confortable, et elle y avait fait sa vie alors pourquoi s’embêter à déménager ailleurs? Pourquoi y retourner…
non. Elle ne retournera jamais vivre là-bas. Cette ville, elle avait appris à la détester, pourtant si belle mais dont les murs ne faisaient que cacher la gangrène. Comme partout. Mais là-bas c’était la pourriture qui avait dégouliné sur l’enfant qu’elle était qui se cachait, et ça, elle ne voulait plus le voir, elle ne voulait plus le savoir.
Elle n’y ferai qu’un passage rapide, juste pour savoir. Savoir si Anna ne voulait vraiment plus d’elle, elle aussi. Si elle avait pu repartir où elle le souhaitait. Parce que la fille Huygens s’était déjà fait tout son petit scénario. Elle voyait d’ici ses deux parents, raides et rigides, qui regardaient la petite gouvernante voûtée par l’âge. Leurs yeux d’un gris d’acier qui méprisaient la médiocrité, qui jugeaient les faiblesses de la nourrice qui avait été trop maternelle avec leur progéniture, qui l’avait rendue médiocre. Car pour eux, rien n’était jamais assez, rien ne suffisait, pas même si le nom Huygens était maintenant synonyme d’art révolutionnaire, de talent et d’audace partout où se tenait un musée.
Titan en était sûre, la gouvernante ne devait plus être là. Sa famille avait dû la renvoyer. Après tout quand on prend de l’âge, on est moins efficace et chez les Huygens soit on est utile, soit on n’est pas. Titan s’était déjà imaginé que la dame était partie avec ses affaire, se détachant de cette ancienne peau, ce métier qui l’avait collé pendant des décennies pour se libérer, profitant pour délaisser le poids qu’était la fille folle, artiste névrosée, qui ne cessait de lui quémander de l’attention même à des milliers de kilomètres de là. Son cœur se serrait encore une fois en tournant le scénario dans sa tête, elle se sentait de nouveau toute petite, enfant subissant les assauts et les volontés des adultes. Elle voulait être sûre qu’elle aussi l’avait délaissé. Être sûre de pouvoir…
pouvoir quoi au juste? Elle ne savait même pas vraiment. Pouvoir avoir la preuve que personne ne s’attachait? Personne n’était vraiment là? Que les relations n’étaient qu’hypocrisie, fausseté, idioties et espoirs brisés? Elle n’avait aucun espoir en personne, les gens étaient tous trompeurs, lâches, sournois… Elle ne voulait pas de ça, elle vivait bien seule dans cet appartement. Seule.
Presque. Si elle ne comptait pas un nuisible qui vidait son frigo et son congélateur régulièrement, qui allait et venait pour profiter de son toit. Elle avait bien tenté de le chasser ce raton-laveur de ses deux, il revenait toujours. Alors elle avait laissé tombé, elle avait accepté le bordel, les courses à faire plus souvent, les rires, les vêtements sales qui traînaient partout, le pop-corn et les burgers, parfois les deux en même temps, les tonnes d’affaires volées, de papiers, de contrats, de portefeuilles partout et les soirées blockbusters. Elle avait un peu abaissé son mur en laissant une barrière de défiance et encore un rideau de méfiance.
La jeune femme s’étira pour porter ses yeux au loin, parcourant la pièce et son désordre de vie. Les billets étaient pris, elle se levait, claquait l’écran de son ordinateur portable pour le prendre sous le bras et partir dans sa chambre avec la pile de lettres dans l’autre main. Le reste resterai en désordre jusqu’à son retour. Elle fit sa valise rapidement, assemblant un carnet pour travailler son exposition future, son ordinateur pour gérer le reste, une tenue, des changes, sa trousse de toilette. Le petit bagage fut plein en moins de 20 minutes et Titan prête et habillée en moins de 15. Elle était organisée, méthodique, elle pensait boulot et art pour ne pas penser à son cœur qui fondait en miettes, qui s’égrainait de peur en attendant la réponse fatidique, la confrontation ultime entre elle, ses parents et elle l’espérait Anna. Elle espérait la revoir, comprendre cet éloignement. Elle allait partir de son appartement avant de se raviser. Elle laissa un post-it
dans le congélateur, sur un lot de pots de glaces, là où elle était sûre qu’il serait vu.
“ Suis partie pour Amsterdam voir une amie,
Je reviens demain.
NE T’AVISES PAS DE VIDER TOUTES LES GLACES !!!!!!”
La porte claquait et elle se retrouvait aussi vite à la gare à attendre le train. Elle avait le don de vouloir voir le moindre détail chez les autres tout en étant incapable de s’ouvrir sincèrement elle-même. Les autres ce sont leurs problèmes s’ils veulent se montrer faibles, Titan ne ferait pas cette erreur encore. La locomotive entrait sur sa voie et son wagon se positionnait pile sous son nez et pour une fois, elle avait peur de le prendre le joli train magique de Corail. Lui qui la fascinait tant, maintenant devenait sa ligne verte personnelle. Elle n’avait peut-être pas envie d’avoir la réponse au bout de la ligne finalement.
Deux heures plus tard, voilà qu’elle débarquait magiquement valise à la main, souffle coupé, dans la rue de son hôtel. Elle descendait du wagon le ventre serré sur le bitume terne dans l’air encore frais et gris de sa ville natale. Le printemps ne touchait pas encore les rues de la Venise hollandaise. Elle n’avait plus le choix, le train s’en allait à nouveau vers une autre destination. Elle gardait précieusement son billet pour son retour demain.
Le temps d’avoir préparé son départ précipité ainsi que le voyage l’avaient amené à débarquer en fin d’après-midi dans la ville. Titan décida de prendre sa réservation et d'aller déposer ses affaires dans sa chambre avant de sortir pour trouver un endroit qui lui plairait pour manger, peut-être se balader, divaguer, se vider l’esprit, avant de rentrer pour la nuit et se préparer à sa rencontre du lendemain.
Dimanche •
On ne pouvait pas dire que Titan s’était vraiment réveillé ce matin. Elle n’avait pas vraiment dormi. Elle était rentrée tard après s’être perdue dans les rues d’Amsterdam pour passer le temps, les mains tremblantes de retrouver une foule qu’elle n’avait pas vraiment oublié ni voulu revoir. Elle n’avait pas pu dessiner, elle n’avait pas réussi à faire sa paperasse quand au milieu de la nuit elle avait rallumé son ordinateur pour passer le temps, pour cesser de compter les minutes les yeux fixés sur le plafond. Elle en avait assez de ne pas trouver le sommeil, elle en avait assez d’attendre, elle en avait assez de la peur démesurée qui grandissait avec le temps et qui la consumait rien qu’à l’idée de la journée du lendemain.
La journée du lendemain était là. Elle s’habillait précautionneusement, autant pour éviter les remarques acerbes de ses parents qui ne laisseraient jamais rien passer que pour se rendre présentable pour Anna. Voilà des années qu’elle ne l’avait pas revue en face à face. Elle lui avait bien envoyé des photographies d’elle, de l’île, des gens qu’elle rencontrait… Mais elle n’avait jamais pu revenir à sa maison natale. Le courage lui avait toujours manqué et sa fuite en avant lui allait très bien comme cela. Anna ne lui avait jamais reproché, jusqu’à maintenant peut-être…
Titan était à présent devant cette grande porte à double battant. Celle bleu canard caractéristique de la rue, celle qui était connue pour avoir toujours appartenu à la famille Huygens. Sa main tremblait, suspendue dans le vide devant cette sonnette qu’elle n’osait pas déranger. Maintenant un millier d’idées la taraudait. Et si elle se trompait? Et si elle avait tout trop interprété? Et si elle avait mal lu et qu’Anna était tout simplement partie en vacances plus tôt? Et si personne ne lui ouvrait?
Et si… Le temps d’une seconde elle se demanda même si elle ne ferait pas mieux de faire demi tour, d’aller prendre ses affaires à l’hôtel et retourner se cacher chez elle, dans son petit appartement du sa petite île dans son petit monde.
Seule. Puis mécaniquement son doigt appuya sur l’interphone. La jeune femme sursauta comme si ce n’était pas elle qui avait provoqué la sonnette, comme si le doux tintement du carillon résonnait comme mille clochers autour d’elle.
La porte s’ouvrit sur un homme grand, mince, en livrée grise parfaitement repassée et ajustée. Elle ne le reconnut pas, elle ne le connaissait pas. Elle n’osait même pas lever les yeux jusqu’à son visage une seconde fois, de nouveau enfant malhabile, elle se contentait de fixer les boutons argentés de l’habit devant elle en se raclant la gorge.
• Bonjour mademoiselle Huygens. Je vous en prie, suivez moi.Il lui coupait l’herbe sous le pied.
La connaissait-il? Bien évidemment, il fallait que les personnes au service de sa famille ne soient jamais démunies devant aucune situation, et même si la fille ingrate était rentrée au bercail, il fallait bien savoir que c’était elle. Il s’écartait déjà de l’entrée pour la laisser prendre possession des lieux, lui enlevant sa veste blanche et rose et prenant ses gants pour les ranger dans le vestiaire attenant. Titan faisait son possible pour ne pas agir comme une enfant, comme celle qu’elle était il y a douze ans, il y a vingt ans… Elle se tenait droite tandis que les mains gantées du majordome l'invitait à le suivre vers le petit salon. Comme une enfant elle prit sa suite, les pieds léger pour ne pas se faire remarquer, la tête basse comme si elle venait de faire une grosse bêtise. Elle en avait même oublié le temps d’une minute ce qu’elle venait faire là, elle était juste de nouveau la petite brune turbulente qui se pliait dès que ses parents étaient dans les parages.
La porte s’ouvrit sur une pièce qui n’avait pas changée, des meubles hors de prix de designers américains qui dénotaient avec la cheminée ancienne en marbre gris, le tapis luxueux de Christian Naschbach. Une bonne partie de leur décoration venait de ce type qu’ils appréciaient pour son talent et que Titan détestait pour sa plus que promiscuité sans gène avec elle lorsqu’elle était enfant. Ses parents étaient là. Ils mirent un temps infini avant de lever les yeux vers elle. Même après que le majordome l’ait annoncée puis soit parti en la laissant seule avec eux dans la pièce, portes refermées.
• Lyna.C’était sa mère qui avait parlé. Elle seule avait enfin daigné la regarder, son père toujours assis derrière un bureau à feuilleter tout un tas de feuilles. Ce prénom. Ca avait sur elle l’effet d’une gifle, aussi froide qu’un millier de mains qui tentent de la noyer dans son passé, celui qu’elle avait toujours tenté d’oublier, de garder enterré, d'étouffer, de fuir. Ce simple mot la ramenait des années en arrière et elle ne put s’empêcher de tressaillir. Elle ne savait même pas si la façon dont avait parlé cette femme devant elle était empreint d’amertume, de dégoût ou de mépris. Peut-être les trois à la fois.
• Mère. Père. Bonjour… Je...• Que fais tu ici ?Cette fois ça avait été les mots de son père qui l’avait cloué sur place. Ils allaient droit au but, étaient avares de mots comme de leur attention et ne parlons pas de sentiments ici, il n’en avait jamais été question. Titan se triturait les doigts et peinait à relever les yeux, ceux-ci qui avaient scellé son destin aussi certainement qu’ils l’avaient sauvé, ces yeux là qui étaient la preuve de son don, de sa double vision du monde. Ceux qui avaient fini par faire définitivement fuir ses géniteurs puisqu’un don n’était que tricherie, hypocrisie et facilité quand l’Art se devait d’être brut, honnête et douloureux. N’avaient-ils jamais vu à quel point la jeune Lyna s’était dédiée corps et âme à cet Art qui la consumait, la brûlait, la détruisait à petit feu? A quel point elle avait tout enduré pour leur fierté? A quel point elle avait offert son âme et son corps à tout les vieux mécènes qui venaient pour elle plus que pour son talent juste pour qu’enfin ils la regarde un instant?
• Je… Je voulais voir la maison, venir régler quelques affaires.• Tu aurais dû t'annoncer. Puisqu’il est midi, tu te joindras à nous pour le déjeuner, nous verrons le reste après. Aelbert ?Le majordome arriva instantanément dans la pièce pour écouter les instructions: une assiette en plus, le repas serai pris rapidement, il devrait se tenir à disposition de Lyna pour ses demandes. Par ces mots, Titan comprenait que ni l’un ni l’autre de ses géniteurs ne daignerait rester avec elle longtemps après le repas. Elle ne savait pas si cela la soulageait ou la peinait. Elle se fustigeait intérieurement pour les deux choix, elle voulait être indifférente, elle devait être indifférente. Douze années n’avaient donc pas suffi à la rendre adulte, détachée, à s’émanciper d’Amsterdam, de son passé et de ces deux personnes hautaines et froides. Dès qu’Aelbert se retirait, l’homme et la femme se levaient. Ils étaient aussi grands que Titan était petite. La femme passa à côté d’elle sans un regard pour quitter le salon et l’homme la suivit rapidement, faisant claquer les ordres sur sa progéniture comme des années auparavant.
• Es-tu toujours aussi gourde ? Nous passons à table. Tâches d’être concise.Elle les suivit en silence, ils n’aiment pas discuter lorsqu’ils passaient d’une pièce à une autre. Titan les avait toujours imaginés comme ces automates d’horlogerie qui vont et viennent d’une scène à une autre, prenant un masque différent en fonction de leur environnement. Tantôt des érudits, puis des mécènes, ou des affairés et enfin toujours pour elle des indifférents. Elle avait pensé à un moment aux déçus, mais ça aurait voulu dire qu’ils avaient cru en elle ne serait-ce qu’un court instant. Ce n’était pas le cas. Leurs attentes étaient réalistes, dures, vides d’affection, Titan se demandait encore comment elle pouvait déborder d’émotions quand elle les regardait. Elle se demandait ce qu’elle faisait dans cette famille qui n’avait rien en commun avec elle si ce n’est leur patronyme.
Ce n’est qu’une fois installée à table, devant l’entrée qui leur avait été servie rapidement qu’elle se mis à l’unisson avec les gestes de ces deux automates à prendre ses couverts et manger. Elle ne dégustait pas, elle mangeait. Elle les regardait aussi. Rapidement. Elle constatait qu’ils étaient toujours en pleine forme, élancés, guindés, bien habillés, tout d’eux donnaient une impression surréaliste. Ils étaient d’un autre monde, pas de ceux qui ne manquent de rien, non, de ceux dont on se demande même ce qu’ils font sur terre. Cette idée idiote lui redonna instantanément un sourire timide. L’idée aurait plu à Balthazar. Il les aurait disséqué rien que pour vérifier, et avant ça il les aurait mis hors d’eux rien qu’à sa façon de bouger, de respirer, de parler… de manger. Avec cette impulsion, elle reprit une once de courage.
• Vous n’avez pas changé. La maison non plus, à part Aelbert, est-il entré récemment à votre service?Le visage de l’homme s’assombrit alors que la femme leva la tête si brusquement que ses cheveux si parfaitement immobilisés par les épingles laissèrent échapper quelques mèches. Comment osait-elle parler, n’est-ce-pas? Elle qui était à leurs yeux encore une enfant, une bécasse, une charge supplémentaire. Il avait toujours été ainsi, ils mangeaient rapidement et en silence. Les seules fois que Titan avait entendu ses géniteurs discuter durant le repas avait été quand ils recevaient et qu’elle était censée être dans sa chambre à apprendre ses leçons. Se prenait-elle pour une invitée de marque?
Non. Pour une adulte qui méritait un minimum de respect et d’attention?
Oui. Elle en avait assez de se faire écraser par le poids du devoir familial. L’excellence, la bienséance, les bonnes manières, gna gna gna. Oh, elle serait polie, c’est certain, mais à partir de maintenant elle décidait qu’il serait temps pour eux de lui parler comme à n’importe quelle autre personne mûre. Alors elle plongeât son regard dans celui de sa génitrice.
• Toi tu as pris du poids. Et ces… habits? As-tu décidé d’intégrer une troupe de cirque?La moue dédaigneuse de la femme tirée à quatre épingles, en robe droite et petits mocassins s’opposait au sourire sarcastique de l’artiste qui se regardât un instant. Pourtant sa tenue était ce qu’elle possédait de plus sobre et convenable. Un pantalon camel à très fines rayures blanches près du corps taille haute dont la fermeture en portefeuille était marquée par six boutons dorés, des bottines richelieu marrons à talons dorés, une chemise blanche à jabot que Capucin, un de ses apprentis, avait transformé pour ouvrir le col en un carré mettant sa poitrine en valeur, surmonté de la dentelle du jabot trafiqué. Elle se trouvait tout ce qu’il y avait de plus classique. Elle avait même pensé à orner son cou d’un beau sautoir en or pour faire un rappel en suivant les conseils esthétiques de son deuxième apprenti Vail. Penser à sa vie présente, à ce qu’elle avait accompli, à la place qu’elle tenait lui insufflait encore un peu plus de courage. Habituellement elle se serait écrasée, excusée, elle serait même partie de table pour aller se changer.
Pas aujourd’hui.• Oh vous savez mère, je vis, simplement. Je ne vois pas l'intérêt de me priver. Avez-vous cessé de suivre les dernières expositions d’Art? Pourtant vous sembliez assez investis dans les musées européens à mon départ… J’ai mon exposition qui va de ville en ville, j’ai déjà fait le tour de quelques pays et capitales maintenant. La seconde est en cours de préparation. Mais j’imagine que ce ne sont que des broutilles...Son ton était défiant, elle voulait les faire réagir mais quoi qu’elle dise, quoi qu’elle fasse ça se soldaient par un haussement de sourcil et un désintérêt. Il en allait de même aujourd’hui. Eh bien tant pis, au moins aujourd’hui elle n’aura pas baissé les bras.
Le repas se déroula comme avant, dans le silence. Aucun de ses deux géniteurs n’avaient relevé les piques de Titan, aucun n’avait daigné continuer la conversation. Alors Titan mangea les plats qui défilaient devant elle, sans y faire attention, ses yeux se portant sur la pièce qui n’avait pas changé. Elle cherchait un indice, une présence, un signe, quelque chose. Elle ne voyait rien d’Anna. Si celle-ci était ici, elle n’avait pas voulu sortir de là où elle était. L'esprit de Titan s’emportait encore en hypothèses. Et si elle était partie? avait pris sa retraite? Cette option était de plus en plus probable. Elle avait dû en avoir marre de la fille Huygens ou alors… alors…
peut-être… Peut-être que ses parents avaient définitivement interdit à la nourrice de rester en contact avec Titan? Pourquoi si soudainement? Pourquoi maintenant? Ils en étaient au dessert quand le géniteur de Titan prit enfin la parole.
• Fais ce que tu as à faire, récupère tes affaires à l’étage, Aelbert te montrera. Nous sommes attendus ta mère et moi. Il se levait soudainement, son dessert à peine entamé, suivit de près par sa femme, l’un étant la copie parfaite de l’autre, à croire qu’ils n’étaient pas mari et femme mais frère et sœur. Titan se sentit prise de court et se leva tout aussi vivement pour les retenir afin de poser les questions qui lui brûlait les lèvres, celles qu’elle n’avait pas osé posé avant, celles qu’elle réservait pour après le repas, lorsque ses parents fumeraient leur cigare et leur cigarette, plus détendus, elle l’espérait.
• Oui mais euh… Je préfèrerai que ce soit Anna qui me montre, où est-elle?• Elle est morte.Le ton était inflexible, claquant, posant une évidence là. Titan tremblait, la claque de la révélation qu’elle venait de subir la laissa immobile, les yeux écarquillés dans le vide, le cœur en morceau à ses pieds. Les deux n’avaient pas sourcillé, comme s’ils lui avaient dit que le vase bas de gamme qu’on leur avait offert il y a un siècle de cela s’était ébréché. Ils avaient même le toupet de lui tourner le dos pour continuer à se diriger vers la porte d’entrée de leur maison. Leur maison. Pas celle de Titan. Pas celle d’Anna. Elles n’avaient été que des intruses. C’en était trop, elle hurlait si brutalement que pour une fois, ses parents lui portèrent une attention sans faille, aberrés par ce qui était en train de se passer.
• COMMENT CA “ELLE EST MORTE” ? Juste comme ça ? Comme un vieux tapis dont vous avez MARRE !! QUE VOUS JETEZ ??! Pourquoi vous ne daignez m’en informer que maintenant, HEIN? CA VOUS AURAIT SCIÉ LE CUL DE ME PASSER UN APPEL ? DE M’ENVOYER UN MESSAGE ? MERDE !!• TAIS TOI LYNA ! La voix avait sonné, bien plus fort que les cris de désespoir de Titan. Ils avaient claqué si énergiques et secs que le hall résonnait encore de la voix grave de son père. Elle en restait tremblante, les larmes aux yeux, ahurie de cette nouvelle impossible. Plus bas et inflexible il repris en se tournant à demi vers la porte.
• Je ne veux plus entendre parler de toi. Prends tes affaires et retourne d’où tu viens, je ne veux plus t’entendre. Ce que tu n’as pas emmené avec toi dans l’heure, Aelbert se chargera de s’en débarrasser.Les yeux gris d’acier se portaient sur le majordome pour s’assurer que l’ordre était compris et sans aucune autre attention pour elle, il enfila sa veste, pris sa femme par l’épaule et claqua la porte derrière lui.
Après ça le silence résonnait plus lourdement encore que les mots qui venaient d’être échangés. Une chape de plomb venait de recouvrir son esprit tant elle était sous le choc. Elle resta sans bouger jusqu’à ce que le grand homme maigre en livrée vienne lui tapoter l’épaule.
• Mademoiselle Lyna, suivez moi s’il vous plaît.Il n’avait que ces mots à la bouche. “Mademoiselle” “suivez moi”... était-il un automate lui aussi? Elle tremblait en avançant dans les escaliers derrière lui, sa voix était devenue fragile tout à coup.
• Où est Anna ? • Elle n’est plus là, mademoiselle.Leurs pas résonnaient dans le silence lorsqu’ils empruntèrent les couloirs menant à une pièce qui servait de débarras aux Huygens. Alors c’était cela qu’elle était maintenant? Un encombrant dont il fallait se débarrasser. C’est ça qu’elle avait été durant douze ans? Durant vingt huit ans? Elle entra dans la pièce pendant qu’Aelbert se tenait sur le pas de la porte, prêt à répondre à ses demandes et sûrement pour la surveiller un peu aussi. Elle tomba rapidement sur un carton qui contenait de vieux carnets, une peluche poussiéreuse que lui avait offert Anna et quelques livres d’art qui avaient fait partie de son éducation. Elle prit le carton, rangea correctement les carnets, la peluche qu’elle tapota pour enlever la poussière et sortit les livres dont elle voulait se séparer. Ses yeux se perdirent dans le bric-à-brac. Un carton plus neuf, moins poussiéreux attira son attention. Titan le prit à côté d’elle en voyant du coin de l'œil le majordome sourciller.
Deuxième gifle. c’était les affaires d’Anna. Ce qu’il restait que sa famille n’avait pas pris quand il avaient dû venir la chercher peut-être? Titan avait les mains qui tremblaient et l’impression de profaner quelque chose de sacré. Elle n’osait plus bouger, plus toucher quoi que ce soit, même plus refermer ce carton. Elle ne pouvait pas, ce serait comme enterrer elle-même nounou. Une larme roulait sur sa joue, pour atterrir sur une pile de papiers et s’y imprégner. Des lettres. Des tonnes de lettres tenues dans un gros ruban de satin. Toutes avec l’écriture de Titan. Elle les avait toutes gardées. La main tremblante de l’artiste venait soulever le paquet pour les prendre avec elle, révélant dessous des petites statues d’argile, des petits golems que Titan avait confectionnés enfant suite aux histoires que lui contait Anna. Eux aussi étaient tous là. Elle les prit avec elle, elle ne pouvait pas les abandonner. Il y avait une écharpe aussi, mêlant un magnifique jaune solaire et le vieux rose de Titan.
Elle se souvenait de ce jour-là, où Anna et elle étaient sorties pour trouver de nouveaux souliers à Titan. Anna avait hésité un moment devant une vitrine à admirer cette écharpe en cachemire. Elle n’osait pas la prendre, trop colorée pour l’environnement sobre des Huygens, et peut-être un peu trop cher aussi. Et puis Titan sur un coup de tête était rentrée comme une tornade dans ce magasin fastueux, avait sauté dans la vitrine, décroché sous les yeux effarés de tous et les cris de nounou l’écharpe. De ses petites mains elle avait regardé l’étiquette, compté sur ses doigts et sorti la somme presque exacte. Elle s’était un peu trompée en plus mais ce n’était pas grave, elle avait dit que le plus, c’était pour s’excuser parce qu’elle voulait cette écharpe là que nounou regardait, pas les autres nulles des rayons. Et puis elle avait tiré sur le manteau de nounou et lui avait entouré le cou de l’écharpe et de ses bras en lui criant joyeux non-anniversaire. Parce qu’elle avait vu Alice récemment et qu’elle se trouvait drôle en monsieur chapelier donneur de cadeau.Une deuxième larme roulait sur la joue de Titan avant de se faire rejoindre par une myriade d’autres l’écharpe dans les mains et le souvenir du sourire de nounou dans le cœur qui grossissait à lui en exploser la poitrine. La voix pleine de sanglot, sans se retourner elle demanda :
• Quand ? • Il y a sept semaines environ, je ne saurais trop vous en dire, je venais d’entrer au service de Monsieur et Madame. Nous avons constaté que son cœur avait lâché un matin lorsqu’elle s’est écroulée. Les pompiers n’ont rien pu faire.Elle avait le fin mot de l’histoire par un automate gris dont la voix monocorde lui donnait envie d’arrêter de respirer tant ses larmes faisaient du bruit en tombant au sol. Comment une femme si douce et si dévouée pouvait partir ainsi sous l’œil de trois personnes si indifférentes? Elle avait envie de hurler de chagrin. A la place, avec les gestes les plus tendres possibles, les plus soigneux dont elle était capable malgré ses tremblements et son visage trempé, elle prit l’entièreté des affaires d’Anna pour les installer dans son petit carton à elle. Il y avait du bazar, mais c’était un bazar qu’elle refusait qu’on oublie, qu’elle ne supporterait pas qu’on jette à la poubelle, car c’était leurs souvenirs à elles deux.
• Avez-vous fini mademoiselle ?• J’ai fini.Ces deux mots tombaient comme un couperet. Ils marquaient la fin de sa présence en ces lieux, la fin des liens infimes qui lui restaient entre ses géniteurs et elle. Elle portait elle-même le carton d’affaires dont elle avait coincé les rabats les uns avec les autres pour que rien ne se perde. Elle le déposa sur le guéridon à droite de la porte d’entrée car elle refusait de déposer les affaires d’Anna au sol, ce qui provoqua une grimace sur le visage si placide d’Aelbert. Titan récupéra ses affaires et partit tout aussi vite sans un mot, sans se retourner, sans se rendre compte que ses pas l’avaient naturellement ramenée à son hôtel alors que son esprit était perdu bien plus loin. Elle monta dans sa chambre pour y récupérer ses affaires et faire ses bagages pour partir.
Elle n’y arrivait pas, rien ne voulait se plier comme elle le souhaitait, rien ne voulait rentrer dans cette foutue valise. Elle recommença à pleurer, bien plus fort, son corps tremblant sans pouvoir se retenir. Elle glissa le long du mur sur lequel elle s’était reculée pour s'asseoir au sol, les bras repliés sur elle-même à gémir en priant pour que son cœur sorte enfin de sa cage thoracique. Qu’il parte et emmène avec lui sa peine, son tourment et la petite fille qu’elle était. Elle ne savait pas combien de temps elle s’était abandonnée ainsi à son chagrin, elle se sentait engourdie quand elle tenta de se relever. Laissant de côté ses affaires éparpillées, elle rejoignit la salle de bain pour s’asperger le visage d’une eau fraîche, espérant remettre un peu de vigueur dans son corps à défaut de clarifier sa psyché. Les yeux vairons qu’elle croisa dans le miroir étaient injectés de sang, les paupières boursouflées et les joues rougies. Avec ses doigts elle tenta de se recoiffer sans succès, ses yeux se posèrent sur le lit à sa gauche, et le carton dessus. Elle devait rentrer.
Ses gestes mécaniques firent le reste du travail, elle réussit à bourrer ce qui était à elle dans la valise et à descendre dans la rue, le billet à la main pour attendre le train. Elle ne savait ni quelle heure il était ni si elle était entourée, tout ce qu’elle savait c’est qu’elle avait l’air d’une folle avec ses bagages sur le bord du trottoir comme sur le bord d’une voie et qu’il faisait jour. Un taxis s'arrêta pour lui proposer de l'emmener à l’aéroport ou à la gare, elle refusait d’un mouvement de la tête mécanique sans même le regarder. Une dizaine de minutes avaient pu passer ou une dizaine d’heures, elle ne le savait même pas. Elle senti juste un vent léger et vit le wagon devant elle. La jeune femme monta avec sa valise, son carton et l’écharpe jaune et rose qu’elle avait autour du cou.
Lundi •
Elle ne s’était pas levée aujourd’hui. A en voir le soleil qui entrait dans sa chambre découpé par les persiennes, il était au moins 14h30. Elle devait se lever. Sa vessie ne voulait plus la laisser tranquille. Qui était le sombre crétin qui avait dit que pleurer ça faisait moins pisser?
En allant aux toilettes elle évitait le bazar qui jonchait l’appartement. Il y en avait partout, des affaires à elle surtout. Du verre et de la porcelaine brisés des coussins du canapé et des fauteuils qui avaient été jetés au sol, et avant au murs, décrochant les cadres eux aussi au sol brisés.
Elle se souvenait.
Elle avait passé les deux heures dans le train à se dire qu’elle avait rêvé. Elle n’avait pas vraiment entendu ça, elle avait mal compris. Elle avait levé régulièrement les yeux vers le porte bagage pour vérifier si le carton était là, si elle n’avait pas rêvé puis elle baissait les yeux pour voir l’écharpe.
Elle n’avait pas rêvé. Mais elle avait mal compris c’était sûr. Ils avaient dû inventer une histoire farfelue pour renvoyer la pauvre Anna. Ou alors celle-ci avait peut être eu un infarctus mais une fois à l'hôpital ils l’avaient licenciée alors elle était repartie avec sa famille? Mais elle n’avait pas le numéro de sa famille, seulement quelques prénoms et c’est tout parce qu’elle n’avait jamais osé demander plus. Elle avait peur d’entendre qu’elle n’avait pas à se mêler de ça, qu'elle ne faisait pas partie de la vie d’Anna de sa famille. Elle avait peur qu’Anna ne la considère pas comme sa fille alors qu’elle la voyait comme une mère.
Voilà qu’elle pleurait encore, le cul nu sur les toilettes, les bras repliés sur les genoux à sangloter bruyamment.
Elle se souvenait …Elle était rentrée dans son appartement, avait posé sa valise et le carton à côté de la porte et tremblante avait regardé ce qui était censé être chez elle. Ce chez elle chez qui Anna ne viendrait jamais. Pourquoi?
Pourquoi, Pourquoi, Pourquoi, Pourquoi, Pourquoi, Pourquoi, Pourquoi, Pourquoi, Pourquoi, Pourquoi, Pourquoi, Pourquoi, Pourquoi, Pourquoi, Pourquoi, Pourquoi, Pourquoi, Pourquoi, Pourquoi, Pourquoi…. Titan s’était mise à balayer le plateau du vide poche, envoyant valser le vase, les bols, les clés, la monnaie… Elle avait hurlé ses pourquoi. Elle avait jeté une chaise au loin qui s’était brisée avec un sous-verre.
Pourquoi personne ne lui avait dit? Elle envoyait balader les papiers, les tasses et assiettes qui étaient restées sur la table d’un revers de l’avant bras avec force.
Pourquoi Anna ne lui avait-elle pas dit qu’elle avait le cœur fatigué? Elle marchait vers le sofa, le verre crissant sous ses chaussures, prenant les coussins un à un pour les éjecter contre les bibliothèques dont quelques livres tombèrent au sol, ouverts, les pages tordues.
Pourquoi elle n’était jamais allée lui rendre visite? Elle hurlait à plein poumons, prenant un autre vase de fleurs séchées qu' elle propulsa sur une peinture accrochée au mur. Les bris de verre tombèrent, recouverts par la peinture qui s’était décrochée.
Pourquoi est- elle morte? Elle attrapa la peinture au sol pour frapper le réfrigérateur avec encore et encore, brisant le châssis contre, déchirant la toile, laissant tomber les morceaux au sol. Elle n’avait pas le droit. Elle n’a pas le droit de la laisser. Elle n’a pas le droit de l’abandonner.
Pourquoi elle ne lui a rien dit…Titan retournait au lit, portée par ses larmes, se souvenant qu’elle avait fait le même trajet hier soir, se traînant dans sa chambre comme une loque, s’asseyant derrière sa porte close pour se laisser aller. Rampant entre les draps quand elle n’avait plus la force de réfléchir, les larmes tellement asséchées et l’esprit embué qu’elle n’aurait su dire comment elle s’appelait, comme ce matin. Elle ne voulait plus savoir qui elle était.